Monday, November 28, 2011

EN FRANÇAIS • Pourquoi je ne retournerai pas chez Marks & Spencer (unauthorised translation by Courrier International)


La fermeture soudaine des 18 magasins de la marque britannique avait traumatisé les Français en 2001. Dix ans après, la réouverture d'un premier magasin sur les Champs-Elysées est loin de satisfaire les fans de M&S. 

 The Daily Telegraph | Anne-Elisabeth Moutet |
28 novembre 2011
  
Comme toutes les Parisiennes, j'étais assez contente à l'annonce du retour de Marks & Spencer (M&S) à Paris. D'ailleurs, nous n'avons jamais compris pourquoi les Britanniques étaient partis [en 2001, M&S a fermé ses 18 magasins en France]. Ils avaient ce merveilleux magasin situé juste en face des Galeries Lafayette, dans cette partie du boulevard Haussman dédiée au shopping, la réponse de Paris à Oxford Street [la grande rue commercante de Londres].
Après avoir subi l'épreuve des conseillers de ventes à l'air distant aux Galeries et au Printemps - rutilants temples des marques de créateurs, des It-bags [sacs à la mode], des parfums renommés et des robes taille mannequin vendues à un prix astronomique - M&S faisait figure de refuge avec ses rayons remplis de petites culottes sages, de discrets pantalons en jersey noirs qui allaient avec tout, et son Food Hall, le marché d'alimentation qui représentait pour nous le comble de l'exotisme.
On n'allait pas chez "Marks and Sparks" faire ses courses pour le déjeuner dominical français normal, mais pour faire ses provisions en vue d'une fête, du repas de Noël, de l'anniversaire d'un enfant. Ou tout simplement pour se gâter.
Pour une fois, au diable le comptage des calories. Le bacon entrelardé grésillait allègrement en compagnie de nos œufs*  fermiers Label rouge. Le thé était bio (à l'époque, on n'en trouvait pas facilement à Paris) mais les biscuits et les gâteaux étaient, semblait-il, entièrement fabriqués avec des additifs alimentaires, du sucre raffiné et d'improbables colorants chimiques approuvés par la commission européenne.
On décorait la table du dîner avec des toffees, des boules de gomme et des caramels de la marque M&S, encore dans leurs emballages. Les agences publicitaires servaient des sandwiches M&S durant leurs séances de remue-méninges - c'était tellement décalé*, tellement créatif. On n'essayait jamais de faire croire qu'un plat cuisiné M&S avait été préparé à la maison si on le servait au dîner. Au contraire, on annonçait triomphalement : "Ce soir, dîner anglais ! Je suis allée le chercher spécialement chez Marks et Spencer* !"
A l'autre extrémité de l'échelle, dans le Septième* et le Seizième Sud*, pour les familles bourgeoises lectrices de Madame Figaro, dont les valeurs traditionnelles comprenaient une anglophilie préservée dans un genre d'aspic bcbg des années 1950 - vague mélange de jupes à carreaux écossais, de twin-sets en cachemire, de bons pensionnats de jeunes filles, de Prince Charles et du thé de cinq heures -, M&S était "la" Source, le fournisseur attitré de tout ce qui est authentiquement britannique, ayant à peine entendu parler des marques de luxe Mulberry ou Fortnum's.
Elles faisaient provision de thé, de scones, de muffins, de sablés écossais et de chocolats à la menthe avant de filer en voiture vers la maison de campagne, le vendredi soir. C'étaient là les gens qui écrivaient des messages de profond désespoir sur le livre des visiteurs mis en place par les employés licenciés du boulevard Haussmann lorsque M&S nous a abandonnés en 2001.
Et maintenant, M&S est de retour. Au coin de ma rue, en fait. Sur les Champs Elysées. Là où la boutique Esprit a mis la clé sous la porte après moins de deux années d'existence. Tout comme le magasin qui l'avait précédé. Et le journal dont les bureaux se trouvent au cinquième étage, le malheureux France Soir, maintenant pratiquement en redressement judiciaire.
Depuis que le café Sélect a été rasé il y a belle lurette, au coin de la rue de Berri, l'emplacement portait malheur. Je me suis également demandé ce qu'un client normal de M&S avait en commun avec la racaille des Champs Elysées. 
Tous les week-ends, environ un million de personnes envahissent l'avenue, une foule en sweat-shirts, jeans baggy, mini jupes ou baskets Adidas (une grande boutique Adidas se trouve au numéro 22), à laquelle se mêlent d'habiles pickpockets, des mendiants agressifs, et de supporteurs de football (un énorme magasin du club Paris Saint Germain est situé au numéro 27), faisant la queue pour voir le dernier film de Tom Cruise, s'acheter un Big Mac (au numéro 140) ou acquérir les leggings tachetés à 9,95 euros de chez H&M (numéro 90).
Je connais mes Champs Elysées. J'ai vécu dans le quartier la moitié de ma vie. De fait, je suis née à 100 mères de ce que l'Office du tourisme de Paris aime appeler "la plus belle avenue du monde", une étiquette dûment reprise par la publicité annonçant  le retour de M&S. Bien avant l'ouverture effective le 24 novembre, on pouvait se demander comment l'enseigne réussirait à mettre tout M&S dans un magasin aux allures d'appartement familial. Je m'y suis arrêtée à la sortie du bureau le lendemain. Une longue queue s'était formée dans la fraîcheur d'un soir de novembre. Les clients d'un certain âge étaient admis, l'air médusé, à l'intérieur deux par deux.
A travers les vitrines, on apercevait les rayons de vêtements à moitié vides. On ne pouvait s'empêcher de se demander si la queue - dont parlaient tous les quotidiens après l'inauguration - ne tenait pas quelque peu du coup de pub.
A l'intérieur, la plupart des visiteurs faisaient de nouveau la queue pour le rayon alimentation - qui ressemble davantage à une caverne, reléguée au fond du magasin, pas plus grand que chez le marchand de journaux de votre quartier. De fait, les produits alimentaires ont été ajoutés presque à la dernière minute. A l'origine, le magasin était censé asseoir la réputation de M&S dans la mode. Ce ne fut qu'après une sorte de campagne spontanée par courriels, une fois la rumeur partie dans Paris, que l'enseigne a libéré de l'espace pour l'alimentation. Laquelle représenterait d'ores et déjà 35 % du chiffre d'affaires de la première semaine, au lieu des 10 % prévus.
Les cadres débordés donnaient un coup de main aux employés qui réassortissaient à tour de bras les rayonnages, à mesure que œufs écossais, poulet à l'indienne*, sandwiches au bacon* et autres scones s'envolaient au cours de scènes dignes des temps de guerre. Je cherchais mes articles M&S préférés, les cinq petites culottes en coton roulées, vendues au prix de 6 livres [7 euros], mais elles étaient visiblement considérées comme trop bas de gamme pour traverser la Manche. Même chose pour les collants noirs opaques à 8 livres [9 euros]. En tout cas, je pensais ne pas pouvoir imaginer, ni moi ni qui que ce soit d'autre, faire la queue une demi heure sous l'œil torve d'un agent de sécurité bâti comme une armoire à glace, pour un sandwich ou un poulet tikka masala. Quant aux petites culottes sages, je continuerais de les acheter à Londres.

Note : *En français dans le texte 

© Telegraph Media Group & Anne-Elisabeth Moutet, 2011

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